Biosurveillance en ligne des effluents de STEP

Les eaux usées traitées peuvent être contrôlées en continu grâce à une méthode de surveillance en ligne mettant en œuvre des organismes biologiques. Cette innovation donne aux responsables des STEP et aux industriels raccordés la possibilité de réagir plus rapidement à des pollutions aiguës.
Danina Schmidt, du Centre Ecotox, analyse les changements de comportement des puces d'eau. (Dean Shirley, Eawag)

L'ordonnance suisse sur la protection des eaux stipule que les substances qui aboutissent dans les eaux suite aux activités humaines ne doivent pas avoir d'effets négatifs sur les plantes, les animaux et les micro-organismes qui y vivent ou sur l'utilisation des eaux. Les stations d'épuration (STEP) contribuent au déversement de micropolluants d'origine domestique ou industrielle dans les eaux de surface. La qualité de leurs effluents est donc contrôlée avant leur rejet afin d'y détecter des composés problématiques. En général, ces contrôles s'effectuent à partir de prélèvements limités dans le temps qui font l'objet, au laboratoire, d'analyses chimiques (et parfois de biotests) et d'une analyse des données qui demande un certain temps.

La composition des effluents peut cependant varier très brusquement, notamment lorsque la STEP reçoit des rejets industriels. En effet, certaines entreprises modifient régulièrement leurs produits et leurs processus de fabrication, de sorte qu'elles émettent sans cesse de nouveaux résidus et sous-produits. Les systèmes de biosurveillance en ligne, qui utilisent des organismes vivants, peuvent contrôler la qualité des eaux épurées en continu et en temps réel. Et ce, même lorsque les substances présentes sont inconnues. « Les modifications comportementales sur lesquelles nous nous basons interviennent en réaction très rapide et très sensible à une pollution chimique, explique Miriam Langer, de la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse (FHNW) et de l'Eawag, qui dirige la projet avec Cornelia Kienle du Centre Ecotox. C'est pourquoi nous aimerions nous en servir de système d'alerte précoce. » De tels systèmes permettent aux responsables de STEP et aux industriels raccordés de réagir rapidement à d'éventuelles pollutions aiguës et d'intervenir à la source pour les juguler.

Une idée venue de la catastrophe de Sandoz

Il y longtemps que la valeur potentielle des systèmes de biosurveillance en ligne pour la détection précoce des dysfonctionnements est reconnue. En cas de pollution inhabituelle, il est primordial de pouvoir réagir vite pour garantir le maintien de la qualité de l'eau et éviter des accidents. C'est ainsi qu'après la catastrophe de Sandoz qui, en 1986, avait causé le rejet, entre autres, de 30 tonnes de pesticides dans le Rhin suite à un incendie, le développement de systèmes biologiques d'alerte précoce a été fortement encouragé. À l'heure actuelle, la biosurveillance en ligne est surtout utilisée pour le contrôle de la qualité de l'eau potable et des eaux de surface. On dispose encore de peu d'expérience dans le domaine de l'épuration. Pour pallier ce manque, le Centre Ecotox s'est associé à la FHNW et à l'Eawag pour initier un projet afin d'établir des systèmes adaptés à la surveillance des effluents d'épuration.

Sélection des tests

Les systèmes de biosurveillance en ligne se composent de trois éléments : i) un organisme avec lequel s'effectue le test, qui réagit au milieu étudié par des modifications de son activité de photosynthèse ou de son comportement, par exemple, ii) un système de détection automatique, qui surveille les réactions de l'organisme exposé, et iii) un système d'alarme, qui déclenche un signal dès qu'un seuil de réaction est dépassé. Divers organismes peuvent être choisis pour servir de « détecteurs » : bactéries, algues, micro-crustacés, poissons, etc. Leur rôle est de rendre compte des modifications de la qualité de l'eau au nom des organismes de l'écosystème. Les paramètres mesurés peuvent être, par exemple, la photoluminescence, la fluorescence, le comportement natatoire ou encore la respiration. Tous ces paramètres peuvent être influencés par la pollution de l'eau.

Pour convenir au système de biosurveillance en ligne des effluents d'épuration, un organisme détecteur doit remplir plusieurs conditions : il doit réagir de manière sensible aux polluants à mettre en évidence, être relativement tolérant aux autres composants des eaux usées – celles-ci renferment des composés autrement plus complexes que l'eau potable ou l'eau des rivières, ce qui exige des méthodes de détection particulièrement performantes. Étant donné que tous les organismes ne réagissent pas de la même manière aux micropolluants potentiellement présents, il n'existe pas de biomoniteur unique qui convienne à tous les composés. L'idéal est donc de mettre en œuvre une batterie de tests permettant des détections complémentaires. Les scientifiques ont sélectionné pour cela trois tests couvrant différents niveaux trophiques : un test avec l'algue verte unicellulaire Chlorella vulgaris basé sur la mesure de la photosynthèse et deux tests sur des crustacés d'eau douce, à savoir la puce d'eau Daphnia magna et le gammare Gammarus pulex, dans lesquels différents paramètres comportementaux sont considérés (voir l'encart pour une description détaillée des tests).

Essais en station d'épuration pilote

« Nous avons tout d'abord effectué des essais pour nous assurer que les organismes survivaient bien dans l'effluent et que les tests étaient assez sensibles pour réagir à la présence des polluants », indique Ali Kizgin, du Centre Ecotox, qui prépare une thèse sur le sujet. Pour ce faire, des biomoniteurs ont été installés dans la station pilote de l'Eawag. « L'une des difficultés a été que les effluents ne devaient pas contenir de particules grossières qui auraient éventuellement interféré dans les mesures », précise Ali Kizgin. Il a donc tout d'abord fallu intégrer un filtre membranaire au système pour limiter la charge en matières en suspension et en microorganismes. Pour évaluer le potentiel des systèmes pour la biosurveillance en ligne, les scientifiques ont ajouté différents composés à l'effluent, à savoir notamment du chlorure de sodium, du diuron, du chlorpyrifos, du chlorure de zinc et de la sertraline. Ils ont choisi des concentrations susceptibles d'influencer les paramètres mesurés sans toutefois mettre en cause la survie des organismes détecteurs. Les résultats ont été prometteurs : les organismes ont réagi aux composés par des modifications mesurables et n'ont pas été incommodés par le mélange d'eaux usées et de polluants.

Une application réussie à l'échelle industrielle

Les scientifiques ont ensuite utilisé la méthode de surveillance dans une STEP de taille moyenne de la région. « Il y a d'abord eu un petit problème, se rappelle Ali Kizgin. Nous avons dû faire construire un filtre membranaire mobile pour pouvoir l'emporter sur la station. » Mais ensuite, tout s'est bien déroulé pendant les six semaines qu'ont duré les essais. La collaboration avec l'Eawag, qui a participé à l'entreprise avec sa nouvelle plateforme MS2field, a été une véritable aubaine. MS2field est l'une des premières stations de mesure mobiles à permettre le dosage en continu des micropolluants sur le terrain et ce, à haute résolution temporelle. L'analyse détaillée des données n'a pas encore été effectuée. Mais selon les premières observations, plusieurs substances pharmaceutiques étaient présentes à des concentrations plus élevées que la normale au moment où des modifications du comportement ont été constatées chez les organismes détecteurs.

Et ensuite ?

Dans une prochaine étape, les essais devront préciser, parmi les substances identifiées, celles qui sont détectées par le système de biosurveillance et la sensibilité avec laquelle elles le sont. Il est d'autre part prévu d'utiliser les tests dans d'autres STEP. « Nous voulons ainsi créer une base solide pour faire de la biosurveillance en ligne une étape complémentaire de contrôle de la qualité des effluents d'épuration », explique Miriam Langer.

Les biomoniteurs utilisés pour la biosurveillance en ligne

L'algue verte unicellulaire Chlorella vulgaris réagit aux polluants en modifiant son activité de photosynthèse. Cette dernière est suivie par un appareil qui la mesure à travers la fluorescence. Les algues sont cultivées dans un fermenteur intégré puis en sont extraites automatiquement pour la mesure. L'appareil compare l'effet de l'échantillon d'eau sur les algues à l'effet d'une eau de référence.

Dans le cas du biomoniteur basé sur les daphnies, l'effluent transite en continu à travers des chambres de mesure dans lesquelles se trouvent les micro-crustacés. Ces chambres sont équipes de caméras qui filment les mouvements natatoires des daphnies. Leurs trajectoires sont enregistrées et servent ensuite à calculer divers paramètres comme la hauteur ou la vitesse de nage.

Dans la biosurveillance avec les gammares, les crustacés sont placés dans des chambres de détection traversées en continu par l'effluent. Un couple d'électrodes génère une tension de courant alternatif tandis qu'un autre mesure les modifications du champ électrique provoquées par les mouvements des crustacés. L'activité normale des gammares peut alors brusquement augmenter (fuite) ou baisser (apathie, voire mort, causée par le polluant).